Place du marché
En août 1914, le tocsin retentit à nouveau à Ailly ! La guerre est déclarée et touchera très durement le bourg dans sa chair et c’est bien.
Cinquante-deux noms sont inscrits, habitant d’Ailly, sur les deux monuments aux morts du cimetière et de la place du Général Leclerc, rappellent le lourd tribut payé au cours de cette guerre.
Plus de soixante immeubles sont totalement détruits, la plupart des autres sont endommagés.
Mais la guerre ne vaut que par ceux qui ont vécu les évènements du moment.
Le coiffeur par exemple, qui a raconté par le détail le déroulement de l’invasion allemande et dont je reproduis le récit, pas toujours fidèlement en ce qui concerne la lettre mais très scrupuleusement en se qui concerne l’esprits
« Après la retraite de Charleroy, deux ou trois jours avant l’arrivée des Prussiens à Ailly, je voyais passer devant la porte du salon de coiffure, rue saint-Martin, des voitures de toutes sortes remplis de monde. Ça n’arrêtait pas, le jours, la nuit, tout le temps.
« Le samedi 29 août 1914 arrive un état-major français et un régiment d’artillerie qui viennent en repos pour trois jours. Je loge un capitaine de gendarmerie.
« Le lendemain, dès 9 heures du matin, l’ordonnance de l’officier vient chercher la malle et nous dit qu’il part dans deux heures, à notre grand étonnement. L’officier nous remercie de notre accueil, nous apprend qu’il se replie de nouveau mais, pour ne pas nous effrayer, il ajoute que les allemands ne passerons probablement pas par ici car ce n’est pas la route pour aller à paris !
« Ma femme Éléonore et ma fille Simone, prise de frayeur, m’appelle de la cuisine. J’étais très occupé dans la boutique avec les soldats que je coiffais et qui faisaient des commentaires peu rassurants. Sur un nouvel appel de ma femme et de ma fille, je me suis impatienté et je les ai expédiées toutes les deux en auto vers la Normandie leur disant que s’il y avait du danger je les rejoindrais en bicyclette.
« Et c’est le calme, étrange, prenant, angoissant jusqu’à ce qu’un avion allemand passe au-dessus de nos têtes, ce qui d’éclanche un violent tir d’artillerie. L’allemand avait récupéré des artilleurs français à Rouvrel, à quatre kilomètres de là, et a fait tirer les canons allemands et répondre les artilleurs français. Cela faisait beaucoup de bruit, de lueur jusqu’à huit heures du soir. A quatre heures, le génie français fait sauter les voies et les aiguillages à la gare. C’était mauvais signe…
« La nuit tombe et se passe sans bruit, mais personne n’était rassuré sur ce qui allait se passer le lendemain.
« Je me lève de très bonne heure le 31 août et je vois derrière ma vitrine une vingtaine de dragons en patrouille.
« Vers 9 heures, quelques personnes reviennent des champs en courant, disant qu’ils ont vu des cavaliers allemands. Nous très sceptiques et incrédules, et avec les voisins nous commençons à envisager la conduite à tenir pour prévoir un départ éventuel, mais l’étant tellement impensable, nous décidons d’attendre encore.
« Quand vers deux heures de l’après-midi quelqu’un dans la rue se met à crier : Voilà les Prussiens !
« En effet, j’aperçois un grand cavalier, une lance à la main, avec un casque plat, qui arrive sur la place du marché, bientôt rejoint par quatre autres soldats qui qui rebroussent chemin vers Amiens.
« Je venais de voir les premiers uhlans ! et je reste sans voix et en plein désarroi.
« En même temps, les dragons français qui déboucher le long de la rivière ont réussi à faire des prisonniers qu’ils ramènent pour les mettre en lieu sûr. »
Pour l’épisode suivant, je retranscris fidèlement et intégralement le texte qui à été écrit, car il montre bien l’angoisse et le jugement sévère qu’entraînait l’atmosphère lourde de crainte du moment.
« Dix minutes plus tard, on entend dans la direction de l’église une fusillade épouvantable. Renseignements pris, c’était les allemands qui avaient tué un civil, des environs de Moreuil, qui se sauvait devant l’ennemie en faisant l’imbécile, à courir à bicyclette pour voir s’il voyait des Allemands et le redire aux dragons français. Ils l’avaient déjà vu plusieurs fois mais il faisait encore des signes, et c’est alors qu’ils ont tiré et qu’ils l’ont tué. Heureusement qu’il avait sur lui des papiers établissant qu’il n’était pas d’Ailly sinon je crois que le pays n’aurait pas été à la noce parce qu’ils l’avaient considéré comme espion. »
En fait, il s’agissais d’un civil qui, évacué de son village, Mézière-en-Santerre, et venant de la direction de Moreuil, faisait signe à sa famille qui se trouvait derrière lui que la route était libre. Le prenant pour un espion, les Allemands cachés prés de l’église l’ont abattu. Il avait vingt-trois ans. A trois heures de l’après midi une dame qui revenait de jumel, raconte qu’elle a vu cinq uhlans qui ont demandé au cafetier des œuf et de la bière.
Extrait du livre « Histoire d’Ailly sur Noye » de Francois Poulain